Des virus contre les bactéries, un espoir
renouvelé pour traiter les infections résistantes aux antibiotiques
Les antibiotiques ont constitué l’une des grandes avancées médicales du XXe siècle pour faire reculer les principales maladies infectieuses : tuberculose, lèpre, pestes, nombreuses infections sexuellement transmissibles… Toutefois, leur utilisation massive et parfois excessive chez l’homme comme chez l’animal, combinée au ralentissement dans la découverte de nouvelles classes d’antibiotiques, aboutit aujourd’hui à ce que se développent de plus en plus de bactéries résistantes aux traitements existants.
Les antibiotiques ont
atteint leur limite. Les bactéries se sont de plus en plus adaptées et obligent
à des traitements de plus en plus lourds et toxiques qui associent parfois
plusieurs antibiotiques. Autre
phénomène qui prend de l’ampleur : les infections associées aux soins, qui
sont acquises lors de l’hospitalisation – maladies nosocomiales –. Une part croissante d’infections acquises à l’hôpital est due à des bactéries multi-résistantes
aux antibiotiques.
Globule blanc entouré de bactéries |
La recherche sur les
antibiotiques étant dans une impasse face à ces résistances (qui par ailleurs
évoluent très rapidement), la redécouverte de la phagothérapie pourrait devenir
une alternative intéressante.
Depuis une quinzaine d'années, cette thérapie
ancienne fait l'objet d'un regain d'intérêt dans des pays comme les Etats-Unis,
la Belgique ou la France, parallèlement au développement de l'antibio-résistance, un défi à l'échelle de la planète. Aujourd'hui,
l'antibio-résistance et l’absence de développement de nouveaux antibiotiques
ont remis la phagothérapie sur le devant de la scène.
¿ Qu’est-ce que la phagothérapie ?
Cycle de vie des bactériophages |
“Phage” correspondant à la racine grecque de “nourriture”,
littéralement un bactériophage est une “entité”, en fait un virus,
qui mange les bactéries.
Il existe une immense diversité de phages qui sont
omniprésents dans notre environnement (dans l'eau de mer, les lacs, les égouts),
y compris dans notre système digestif. Une particularité des phages est d’être
chacun très spécifique d’un type de bactérie précis, ce qui présente un double
avantage : n’attaquer que la bactérie pathogène sans tuer les “bonnes
bactéries” – contrairement aux antibiotiques qui ont un large spectre –, et
surtout ne pas infecter les cellules humaines. Le virus phage pénètre dans la
bactérie, il se multiplie et la détruit. Les phages sont éliminés lorsque la bactérie
pathogène est éradiquée.
Les phages ont, la plupart du temps, une forme de champignon |
Les bactériophages représentent la biomasse la plus importante de la planète. Considérant qu’il y en aurait dix à cent fois plus que de bactéries, on dénombre en moyenne 107 phages par ml dans les milieux liquides et jusqu’à 109 dans les sédiments.
Dans un corps humain en particulier, nous avons en
moyenne 5 kg de bactéries ouvrières sans lesquelles nous ne pourrions pas
survivre. En première ligne il y a la flore intestinale qui est la principale
gardienne de notre santé.
Brève histoire
Découverts en 1915 par Frederick W. Twort à
Londres, puis observés de nouveau en 1917 par Félix d’Hérelle, et isolés par ce
dernier, ces virus mangeurs de bactéries connurent dès cette époque leurs
premières applications dans le traitement de grosses infections, et révélèrent
publiquement leurs premiers succès au début des années 1920.
Ces phages, ici en jaune, étudiés à l'Institut Pasteur, vont venir à bout d'une bactérie |
L’Institut George Eliava possède une grande
collection de bactériophages thérapeutiques. Les phago-thérapeutes géorgiens
ont quatre-vingts dix ans d'expérience clinique dans ce domaine.
En Pologne, un Institut d’immunologie et de
thérapie expérimentale a aussi poursuivi jusqu’à nos jours l’utilisation de la
phagothérapie.
Dans le reste du monde, avant la deuxième Guerre
Mondiale, la commercialisation de produits phagiques a été entreprise par de
grands groupes pharmaceutiques comme Eli Lilly aux États-Unis, Robert &
Carrière (absorbé aujourd’hui par Sanofi-Aventis) en France.
Lorsqu'on a découvert les antibiotiques en 1941,
ceux-ci ont été largement commercialisés aux États-Unis et en Europe, de sorte
que la plupart des scientifiques occidentaux ont cessé d'employer et d'étudier
la phagothérapie.
Préparations de bactériophages de 1930 Collection de l'Institut Eliava |
La Defense
Threat Reduction Agency, fondée dans le but de "protéger les Etats-Unis et ses intérêts des armes de destruction
massive", a investi dans la rénovation du bâtiment principal
d'Eliava et des laboratoires et finance plusieurs projets scientifiques,
notamment sur les bactériophages contre le choléra.
Phage – staphylococcus-aureus |
En Russie, cette technique a été conservée, si
bien que les phages sont utilisés jusque dans l’espace, pour soigner les
astronautes. En effet, lorsqu’on tourne les yeux vers les pays de l’Est, on y
découvre une avancée incroyable dans le traitement des infections les plus
graves, ainsi qu’une véritable recherche scientifique dédiée à cette méthode
délaissée.
Réhabiliter la phagothérapie dans les pratiques de la médecine occidentale
Depuis les années 1990, l’utilisation des
bactériophages est reconsidérée dans de nombreux pays devant le double constat
du développement inquiétant des infections nosocomiales à bactéries multi-résistantes
et de l’absence de nouveaux antibiotiques efficaces.
D’un point de vue réglementaire, différentes
options sont à l’étude par la Federal Drug Administration aux Etats-Unis ou par
l’Agence européenne du Médicament au sein de l’UE, pour permettre l’application
d’une réglementation spécifique et adaptée aux traitements de phagothérapie. En
termes de validation scientifique, des études cliniques solides chez l’homme
commencent à pouvoir être menées sporadiquement grâce à quelques financements
qui ont été débloqués.
Depuis 2011, les phages sont classés comme
médicaments par l'Union européenne. Leur production doit être encadrée et il
faut faire des essais cliniques pour tester leur efficacité et s'assurer de
leur innocuité.
Les phages ne peuvent plus se passer d'études
cliniques et d'autorisations de mise sur le marché pour être commercialisés.
Ils doivent emprunter le même chemin que s'ils étaient de toutes nouvelles
molécules, jamais testées sur l'homme.
Le projet Phagoburn
Un phage s'attaque à l'Escherichia coli. Il va se servir de la bactérie pour se multiplier et la détruire |
Sans attendre les résultats de l'essai, l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a donné sa première autorisation de traitement à titre compassionnel en novembre 2015 pour un brûlé grave.
Cet essai européen évalue deux cocktails – associations de différents phages visant à cibler une bactérie en particulier – contre deux espèces bactériennes, colibacille et pyocyanique, sur des brûlures
infectées.
Pour subvenir aux besoins de l’essai clinique, les
phages devaient être produits selon les normes de l’industrie pharmaceutique,
appelées « bonnes pratiques de fabrication ».
Avantages de la phagothérapie
La phagothérapie est généralement considérée comme
sûre. Elle a une action rapide, quasi immédiate, dès que la bactérie exacte est
identifiée et que les phages sont administrés. Les bactériophages sont souvent
très spécifiques, ne s'adressant qu'à une seule ou qu'à quelques souches de
bactéries bien déterminées. Les phages sont choisis de façon à ne pas nuire aux
bactéries utiles comme celles qui sont normalement présentes dans la flore
intestinale, sur les muqueuses ou sur la peau. Ainsi sont réduites les
probabilités d'infections opportunistes qui se développent après la sélection
de certaines bactéries minoritaires au cours d’une antibiothérapie.
La phagothérapie
pourrait être utilisée dans les infections qui touchent les os et les
articulations, mais également dans d'autres infections, urinaires, pulmonaires,
oculaires.
L’avantage clé de la phagothérapie est qu’elle
fonctionne sur des souches bactériennes résistantes aux antibiotiques sans les
rendre de plus en plus récalcitrantes au fil du temps, car le phage répond à un
processus naturel permettant un équilibrage des bactéries.
À l’inverse des antibiotiques qui, à cause de leur
spectre trop général, ont habituellement un effet plus général, détruisant
aussi bien les bactéries nuisibles que la flore intestinale (nos bactéries
internes), les phages ont l’avantage de cibler précisément une seule bactérie
tout en évoluant, en s’adaptant de façon coordonnée avec cette dernière,
faisant face ainsi à ses possibles résistances.
Limites de la phagothérapie
Leur application chez l’homme paraît limitée aux seules infections où le
bactériophage peut être amené au contact de la bactérie. Tous ce
qui nécessite l’injection de phages – septicémies, infections parenchymateuses – paraît voué à l’échec puisque les phages seront en principe détruits par le
système immunitaire.
Les bactériophages ne pénètrent pas dans les
cellules autres que les bactéries. Ils sont inappropriés pour traiter les
infections provoquées par les bactéries à multiplication intracellulaire.
Bactérie entourée de phages |
Autre limite à l’usage des virus tueurs de
bactéries : la protection de l’équilibre biologique de l’environnement.
Dans la mesure où les produits destinés à la
phagothérapie ne contiennent que des phages naturels, ceux-ci seront impossibles à protéger par un brevet,
puisqu’issus de la nature.
Les laboratoires pharmaceutiques ne s’intéressent
pas à ce projet car les bactériophages ne sont pas brevetables, et donc pas
rentables. Pherecydes-Pharma est le seul laboratoire privé à tester des médicaments à base de phages, capables
de soigner des staphylocoques dorés et certaines infections respiratoires.
Application des phages dans l'agro-alimentaire
Les maladies transmises par les aliments (ETA)
sont celles de nature infectieuse ou toxique, causées principalement par la
consommation de boissons ou aliments contaminés. L’Organisation mondiale de la
santé estime que 2 millions de personnes meurent de maladies diarrhéiques
chaque année.
La salubrité des aliments et de l’eau est un enjeu
mondial et il est facile de voir les effets dévastateurs de la contamination
des aliments dans les nouvelles du marché de presque toutes les régions. C’est
en jeu le marché mondial car ce sont des centaines de millions de dollars en
produits alimentaires qui sont enlevés et jetés à cause de la pollution,
l’infection humaine, la maladie et la mort.
Le risque d’acquérir une maladie transmise par la
nourriture (ETA) se produit lorsque les aliments sont altérés et contaminés par
des bactéries pathogènes ; un tel événement a lieu par contamination
croisée par le biais de la matière première, le processus ou le travailleur.
Dans l'industrie agroalimentaire, la phago-prophylaxie
a été envisagée pour éliminer les bactéries potentiellement pathogènes dans la
chaîne alimentaire depuis les élevages jusque dans l’industrie de
transformation.
Contrôle de la Salmonella dans la production aviar |
Le Listex, par exemple, une préparation
hollandaise de phages qui s'attaquent aux bactéries responsables de la
listériose, a été approuvé aux Etats-Unis, au Canada, et est potentiellement
utilisable en Europe.
Les polymères d'origine microbienne sont des
produits uniformes et purs. Dans le cas de la cellulose bactérienne, produite
par exemple par Acetobacter xylinum, ces caractéristiques permettent de
produire des membranes acoustiques de grande fermeté et ainsi de soutenir avec
succès la concurrence de la cellulose végétale.
Un produit appelé Agriphage est actuellement
appliqué à une vaste gamme de cultures pour combattre des bactéries spécifiques
avec un succès remarquable ; le traitement des plantes depuis la phase de semences
jusqu’à son développement, donne comme résultat une grande variété de cultures
dont l’agro-industrie allant des tomates, poivrons, laitue, chou et melons, à
des cultures telles que fraises, pommes, poires, et même des agrumes et plantes
ornementales. Cette technologie rend possible le traitement de pratiquement
tous les types de cultures agricoles, dans chaque région géographique et dans des diversités des climats.
La biopréservation est une méthode de conservation
qui vise à allonger la durée de conservation des aliments et améliorer la
sécurité. Les bactéries lactiques, en raison de leurs caractères
technologiques, nutritionnels et éventuellement thérapeutiques, jouent un rôle
central dans le traitement du lait pour obtenir des produits fermentés comme
les fromages et les yoghourts. Par la fermentation, les bactéries lactiques
confèrent les propriétés organoleptiques et rhéologiques particulières aux
produits laitiers fermentés.
En matière de biotechnologie, les bactériophages
peuvent être utilisés comme indicateurs de pollution fécale dans l’eau et le
sol ainsi que dans la lysotypie et identification des bactéries. Ils sont
récemment utilisés comme contrôle biologique dans les aliments, s’appliquant à
une variété de produits frais, de fruits, de jus, de viande. Ils sont également
utilisés dans le traitement des eaux usées (bio-remédiation).
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Il y a un bénéfice à utiliser antibiotiques et
bactériophages non seulement pour leurs effets synergiques mais aussi parce que
tant les antibiotiques que les bactériophages sont irremplaçables dans
certaines situations. Antibiotiques et bactériophages ne sont pas concurrents
mais bien complémentaires et la phagothérapie doit être envisagée comme une
arme supplémentaire dans l’arsenal de la lutte contre les infections
bactériennes.
Il devient urgent aujourd’hui de s’orienter vers d’autres moyens thérapeutiques. Pour cela, la thérapie par l’utilisation des phages représente un espoir solide dans le traitement des infections les plus difficiles à combattre. Sans doute pourra-t-on envisager des traitements couplés comprenant des antibiotiques à l’action globale et des phages à l’action ciblée.
Voir aussi…
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