La capacité de savoir où nous sommes et où nous devons aller est essentielle à notre survie. Sans elle, nous-mêmes, comme tous les autres animaux, serions incapables de trouver de la nourriture et de nous reproduire.
Comme le GPS de nos téléphones et
de nos voitures, notre cerveau évalue où nous sommes et où nous allons en
intégrant des signaux multiples concernant notre position et le temps qui
s'écoule. Normalement, le cerveau effectue ces calculs avec un minimum
d'effort, de sorte que nous en avons à peine conscience. C'est seulement
lorsque nous sommes perdus ou lorsque notre aptitude à naviguer est dégradée
par une lésion ou une maladie neuro-dégénérative que nous prenons conscience de
l'importance de ce système de cartographie et de navigation pour notre
existence.
Au cours des dernières décennies,
les scientifiques ont acquis une connaissance approfondie de la façon dont le
cerveau forme ces cartes et les révise quand l'animal se déplace. Les récents travaux,
menés principalement chez des rongeurs, ont révélé que les systèmes de
navigation sont constitués de plusieurs types de cellules spécialisées, qui
calculent en permanence la position de l'animal, la distance qu'il a parcourue,
la direction dans laquelle il avance et sa vitesse. L'ensemble de ces
différentes cellules élabore ainsi une carte dynamique de l'espace local, qui
non seulement fonctionne au présent, mais peut également être mémorisée pour
une utilisation ultérieure.
Cartes cognitives
L'étude des cartes spatiales du
cerveau a commencé avec Edward Tolman, un professeur de psychologie de
l'université de Californie à Berkeley, de 1918 à 1954. Auparavant, des
expériences de laboratoire sur le rat semblaient indiquer que les animaux
trouvaient leur chemin en répondant à des stimuli successifs le long de leur
trajet et en les mémorisant. En apprenant à parcourir un labyrinthe, par
exemple, ils étaient supposés se souvenir des séquences de virages qu'ils
avaient effectués entre le point de départ du labyrinthe et son arrivée.
Cependant, on n'envisageait pas que les animaux puissent se faire une image
globale de la totalité du labyrinthe pour être à même de prévoir le meilleur
chemin.
Tolman a radicalement rompu avec
les idées prévalant alors. Il a observé des rats prenant des raccourcis ou
faisant des détours, des comportements qui seraient peu probables s'ils
n'avaient appris qu'une longue séquence de réponses motrices. Sur la base de
ces observations, il émit l'hypothèse que les animaux établissent des cartes
mentales qui reflètent la géométrie spatiale de leur environnement. Ces cartes
cognitives fournissaient aux animaux plus qu'une aide pour trouver leur
chemin ; elles semblaient également enregistrer des informations relatives
aux événements vécus par les animaux en des endroits précis.
Les idées de Tolman, avancées
pour la première fois vers 1930, sont restées controversées des décennies
durant. Elles n'ont été acceptées que peu à peu, en partie parce qu'elles
reposaient entièrement sur l'observation du comportement d'animaux de
laboratoire, lequel était interprétable de diverses façons. Tolman ne disposait
pas des concepts ou des outils nécessaires pour vérifier s'il existait
réellement une carte interne de l'environnement dans le cerveau d'un animal.
Cellules de lieu
En 1971, John O'Keefe un chercheur de l'University College de Londres a apporté
la première pierre à la compréhension de ce mécanisme de mémoire spatiale en
découvrant que des cellules nerveuses d'une zone cérébrale profonde, l'hippocampe,
étaient toujours activées quand un rat se trouvait à un certain endroit d'une
pièce ou d’un labyrinthe.
Lorsque l'animal se trouvait en un autre lieu,
d'autres cellules nerveuses étaient spécifiquement activées. O'Keefe en a
déduit que ces “cellules de lieu” (“place cells”) constituent une cartographie de l'espace
dans lequel évolue l'animal.
L'hippocampe pouvait désormais être considéré comme
le support neuronal de la mémoire, notamment spatiale – d’autant que des
lésions de cette zone cérébrale se traduisaient chez l’animal par des
signes de désorientation spatiale.
Ce que le neuro-scientifique a découvert, c'est
qu'il existe des cellules capables de s'activer seulement quand nous sommes
dans un certain endroit. De façon très sommaire, on peut dire que lorsque nous
sommes dans le salon, il y a des neurones qui s'activent exclusivement quand
nous sommes à la porte, alors que d'autres le font lorsque nous sommes sur le
canapé.
De plus, si vous changez de contexte, une nouvelle
carte est créée en quelques minutes avec la représentation du nouvel
environnement. C'est ainsi que notre cerveau parvient à stocker un environnement
spécifique en mémoire : une combinaison spécifique de cellules de lieu
dans l'hippocampe.
Ces expériences ont ouvert tout un champ de
recherche qui a été une percée dans la compréhension de la façon dont le
cerveau est capable de traiter l'information spatiale, et comment cela se
traduit dans notre comportement.
GPS cérébral
May-Britt et Edvard Moser del’université de Trondheim, respectivement psychologue et neurophysiologiste de formation, plus de trente ans plus tard, en
2005, ont découvert un autre élément
clé de ce système de GPS interne du cerveau, en identifiant à nouveau chez le
rat, d'autres cellules, qu'ils ont nommées “cellules grilles” (“grid cells”).
Situées dans une zone du cerveau proche de l’hippocampe – le cortex entorhinal –. Ils y ont trouvé des cellules qui n’étaient pas seulement actives à un seul
endroit mais qui s’activaient lorsque les rats passaient plusieurs points de
l’environnement. Chacune de ces cellules s’activaient suivant un motif spatial
unique en forme d’hexagone.
Ces cellules spécialisées
constituent un système coordonné permettant la navigation dans l'espace, divisé
selon une grille hexagonale. Ce système divise l’environnement en latitudes et
longitudes qui permet essentiellement d’avoir une idée de son emplacement par
rapport à son point de départ et d’arrivée. Cette organisation mise en évidence
chez le rat a son équivalent chez l’homme.
Ce réseau de cellules nerveuses a
depuis été trouvé chez d’autres rongeurs, chez les chauves-souris, les singes
et l’homme, et serait fort probablement présent chez la plupart des mammifères.
Cellules grilles
Les cellules grilles constituent
un système qui permet la navigation dans l'espace. Avec d'autres cellules du
cortex entorhinal qui reconnaissent la direction de la tête et les limites de
la pièce, elles forment des circuits avec les cellules de lieu de l'hippocampe.
Les chercheurs ont ainsi décrit comment les cellules de lieu et les cellules
grilles travaillent ensemble pour permettre au cerveau de savoir où il se
trouve et comment diriger un déplacement.
On pourrait penser que le système
des cellules de l'hippocampe est plus précis, car chaque cellule n'est activée
qu'à un certain point de l'espace. Mais pour comprendre le fonctionnement du
système de cellule, il suffit d'imaginer que chaque point est une antenne de
téléphonie. De la même manière que la position du smartphone est triangulée
grâce aux informations reçues par les trois antennes les plus proches, les
cellules de la grille sont capables d'établir une carte de coordonnées très
précise et indépendante du contexte.
On pourrait dire que la combinaison des neurones de lieu (carte
cognitive) et de réseau (système de coordonnées) permet à l'animal de former
une carte spatiale de l'environnement : ils sont comme le GPS du cerveau.
Pendant de nombreuses années, l'existence même des cellules de lieu a été
remise en question, ainsi que leur rôle dans le fonctionnement de l'hippocampe.
Au cours des dernières années, la
recherche a clarifié son rôle et personne ne doute qu'elles constituent un
élément fondamental de la physiologie de l'hippocampe, tant chez les rongeurs
que chez les animaux supérieurs et chez l'homme.
Grâce aux nouvelles techniques
d'imagerie cérébrale et à l'étude des patients nécessitant une intervention
chirurgicale dans le cerveau, il a été démontré que notre cerveau possède
également ces cellules de lieu et de réseau qui lui permettent de se connecter
et de se déplacer dans un espace physique. Le GPS interne.
On sait que le cortex entorhinal et l'hippocampe sont les structures du
cerveau les plus touchées par la maladie d'Alzheimer. Certains des premiers symptômes de cette
maladie sont les troubles de l'orientation : les patients se perdent
souvent dans des espaces complexes et la maladie progresse même dans des
endroits bien connus.
L'étude de ces réseaux cérébraux
peut maintenant aider à expliquer comment cette maladie provoque une perte de
mémoire dévastatrice. Il ne fait aucun
doute que des progrès dans la compréhension des mécanismes de base de
l'hippocampe et de ses cellules, ainsi que des améliorations progressives dans
le traitement de la maladie d'Alzheimer, permettront un jour d'élargir
l'éventail des possibilités thérapeutiques offertes à ces patients.
May-Britt et Edvard Moser – John O'Keefe |
Transhumanisme au volant
Le système de navigation GPS a
révolutionné la conduite telle que nous la connaissions. Et, grâce à lui, nous
pouvons nous déplacer vers des endroits pour lesquels nous aurions besoin de
lire attentivement un guide routier et de rester à l'écoute des directions
routières en suivant les indications d'un appareil sophistiqué, qui même par la
voix nous guide, ce que nous permettra d'atteindre notre destination.
L'impulsion pour faciliter nos
tâches quotidiennes (et pas si quotidiennes) a permis à la science de
développer des produits innovants généreusement reçus par l'ensemble de la
population. Ainsi, nous avons un appareil qui nous fait pratiquement de la
nourriture (thermomix), un téléphone mobile qui, en plus des appels et des
messages, nous divertit dans le bus et, bien sûr, des appareils de navigation
qui facilitent l'accès à presque partout. Toute cette transhumanisation diminue
les aires du cerveau qui se maintenaient actives pour accomplir des tâches et qui,
petit à petit, perdent peu à peu son utilité dans l'ensemble pratique de
l'organisme.
Le transhumanisme est un mouvement
culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques
afin d'améliorer la condition humaine notamment par l'augmentation des
caractéristiques physiques et mentales des êtres humains.
Le GPS nous ferait perdre le sens de l'orientation
Selon une étude menée par des chercheurs
à l'University College London Experimental Psychology, publiée dans la revue Nature
Communications en mars 2017, on estime que l’utilisation du GPS ne stimule
pas suffisamment certaines parties du cerveau sur le long terme et qu’il
engourdisse les zones du cerveau responsables de l’orientation.
Les scientifiques ont testé 24
volontaires des deux sexes en leur demandant de choisir entre différents
trajets dans les rues de Londres tout en mesurant leur activité cérébrale à
l’aide d’une IRM fonctionnelle. Sur les dix exercices de l’étude, cinq
comportaient l’utilisation du GPS et cinq autres les seuls moyens cérébraux de
chaque personne.
Dans leur expérience, les
personnes ont tout d'abord appris à se repérer dans le quartier de Soho, dans
le centre de Londres. Puis, les participants ont visionné un film en même temps
qu'un scanner enregistrait leur activité cérébrale par IRM fonctionnelle.
Deux zones du cerveau
intéressaient les chercheurs :
* l'hippocampe, impliqué dans la
mémoire et l'orientation ;
* le cortex préfrontal, qui
sert à planifier et à prendre des décisions.
Parfois, le film était arrêté et
les participants devaient trouver leur chemin pour rejoindre une destination en
disant s'il fallait tourner à droite ou à gauche à chaque carrefour.
L’hippocampe et le cortex
préfrontal étaient moins actifs avec un GPS.
Les chercheurs ont trouvé que
lorsque les participants devaient s'orienter par eux-mêmes, sans aide d'un
appareil de type GPS, l'activité de l'hippocampe et du cortex
pré-frontal correspondait assez bien aux décisions qu'ils devaient
prendre : ces zones connaissaient des pointes d'activité quand les
volontaires entraient dans de nouvelles rues. L'activité cérébrale augmentait
avec le nombre d'options à choisir.
En revanche, quand les
participants suivaient les instructions de l'ordinateur pour s'orienter,
ils n'activaient pas autant ces aires cérébrales.
Les résultats s'accordent avec des modèles dans lesquels l'hippocampe
simule des parcours sur des chemins possibles futurs, tandis que le cortex
pré-frontal nous aide à planifier ceux qui nous mèneront à destination. Quand
nous avons la technologie nous indiquant le chemin à parcourir, le cerveau ne
réagit pas au réseau de rues.
En résumé, le GPS de votre
cerveau se mettrait au repos si vous vous en remettez à une navigation pilotée
par satellite... Ces résultats soulèvent aussi quelques interrogations sur le
sens de l'orientation des nouvelles générations qui utilisent un smartphone,
puisque leur GPS interne pourrait être moins sollicité.
A terme, les utilisateurs
réguliers de GPS pourraient souffrir d’un manque d’entraînement et ne plus
réussir à s’orienter facilement sans navigateur. La disposition de la ville pourrait
également jouer un rôle.
Selon les chercheurs ces
nouvelles découvertes permettent d’étudier comment les systèmes de mémoire du
cerveau peuvent réagir à l’agencement d’une ville ou d’un bâtiment. On pourrait
identifier des lieux, comme les
hôpitaux par exemple, qui pourraient être particulièrement difficiles à
retrouver pour des personnes atteintes
de démence et les rendre plus accessibles
Zones du cerveau impliquées dans l’orientation
Le cortex pré-frontal. Cette zone est chargée de contrôler nos
impulsions, et il semblerait qu’elle ne se développe pas complètement jusqu’à
la fin de l’adolescence et participe à l’orientation car elle est chargée de
prendre des décisions. Le cortex
pré-frontal est la partie du cerveau qui a le dernier mot sur la rue que l’on va
emprunter. Lorsque nous mélangeons plusieurs chemins différents, c’est aussi
lui qui va décider lequel gagne.
Le striatum. C’est lui qui écoute le cortex
pré-frontal lorsque nous marchons dans des endroits que nous ne connaissons pas.
De plus, il stocke des informations de temps et de distance dans l’hippocampe,
là où se trouvent les fameux neurones de localisation, qui permettent que nous
téléchargions de nouvelles cartes dans le striatum.
Le cortex pariétal. Il se charge de la direction et du sens.
Le cortex entorhinal. Il nous situe par rapport à un point de
référence, comme cela peut être le lieu où nous avons garé la voiture.
Le cervelet. Il se charge de coordonner la partie
motrice avec ce qu’a décidé le cortex pré-frontal.
Dans l’orientation, d’autres
structures participent également, comme le
système limbique qui déclenche la colère ou l’énervement lorsque notre conjoint
ne fait pas confiance à notre GPS cérébral.
Voir aussi…
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