samedi 17 mars 2018

Découverte du GPS Interne du Cerveau




Les neurones sont activées selon la position dans l’espace

La capacité de savoir où nous sommes et où nous devons aller est essentielle à notre survie. Sans elle, nous-mêmes, comme tous les autres animaux, serions incapables de trouver de la nourriture et de nous reproduire.

Comme le GPS de nos téléphones et de nos voitures, notre cerveau évalue où nous sommes et où nous allons en intégrant des signaux multiples concernant notre position et le temps qui s'écoule. Normalement, le cerveau effectue ces calculs avec un minimum d'effort, de sorte que nous en avons à peine conscience. C'est seulement lorsque nous sommes perdus ou lorsque notre aptitude à naviguer est dégradée par une lésion ou une maladie neuro-dégénérative que nous prenons conscience de l'importance de ce système de cartographie et de navigation pour notre existence.

Au cours des dernières décennies, les scientifiques ont acquis une connaissance approfondie de la façon dont le cerveau forme ces cartes et les révise quand l'animal se déplace. Les récents travaux, menés principalement chez des rongeurs, ont révélé que les systèmes de navigation sont constitués de plusieurs types de cellules spécialisées, qui calculent en permanence la position de l'animal, la distance qu'il a parcourue, la direction dans laquelle il avance et sa vitesse. L'ensemble de ces différentes cellules élabore ainsi une carte dynamique de l'espace local, qui non seulement fonctionne au présent, mais peut également être mémorisée pour une utilisation ultérieure.

Cartes cognitives


L'étude des cartes spatiales du cerveau a commencé avec Edward Tolman, un professeur de psychologie de l'université de Californie à Berkeley, de 1918 à 1954. Auparavant, des expériences de laboratoire sur le rat semblaient indiquer que les animaux trouvaient leur chemin en répondant à des stimuli successifs le long de leur trajet et en les mémorisant. En apprenant à parcourir un labyrinthe, par exemple, ils étaient supposés se souvenir des séquences de virages qu'ils avaient effectués entre le point de départ du labyrinthe et son arrivée. Cependant, on n'envisageait pas que les animaux puissent se faire une image globale de la totalité du labyrinthe pour être à même de prévoir le meilleur chemin.

Tolman a radicalement rompu avec les idées prévalant alors. Il a observé des rats prenant des raccourcis ou faisant des détours, des comportements qui seraient peu probables s'ils n'avaient appris qu'une longue séquence de réponses motrices. Sur la base de ces observations, il émit l'hypothèse que les animaux établissent des cartes mentales qui reflètent la géométrie spatiale de leur environnement. Ces cartes cognitives fournissaient aux animaux plus qu'une aide pour trouver leur chemin ; elles semblaient également enregistrer des informations relatives aux événements vécus par les animaux en des endroits précis.

Les idées de Tolman, avancées pour la première fois vers 1930, sont restées controversées des décennies durant. Elles n'ont été acceptées que peu à peu, en partie parce qu'elles reposaient entièrement sur l'observation du comportement d'animaux de laboratoire, lequel était interprétable de diverses façons. Tolman ne disposait pas des concepts ou des outils nécessaires pour vérifier s'il existait réellement une carte interne de l'environnement dans le cerveau d'un animal.

Cellules de lieu


En 1971, John O'Keefe un chercheur de l'University College de Londres a apporté la première pierre à la compréhension de ce mécanisme de mémoire spatiale en découvrant que des cellules nerveuses d'une zone cérébrale profonde, l'hippocampe, étaient toujours activées quand un rat se trouvait à un certain endroit d'une pièce ou d’un labyrinthe.

Lorsque l'animal se trouvait en un autre lieu, d'autres cellules nerveuses étaient spécifiquement activées. O'Keefe en a déduit que ces “cellules de lieu” (“place cells”) constituent une cartographie de l'espace dans lequel évolue l'animal.

L'hippocampe pouvait désormais être considéré comme le support neuronal de la mémoire, notamment spatiale  d’autant que des lésions de cette zone cérébrale se traduisaient chez l’animal par des signes de désorientation spatiale.

Ce que le neuro-scientifique a découvert, c'est qu'il existe des cellules capables de s'activer seulement quand nous sommes dans un certain endroit. De façon très sommaire, on peut dire que lorsque nous sommes dans le salon, il y a des neurones qui s'activent exclusivement quand nous sommes à la porte, alors que d'autres le font lorsque nous sommes sur le canapé.

De plus, si vous changez de contexte, une nouvelle carte est créée en quelques minutes avec la représentation du nouvel environnement. C'est ainsi que notre cerveau parvient à stocker un environnement spécifique en mémoire : une combinaison spécifique de cellules de lieu dans l'hippocampe.

Ces expériences ont ouvert tout un champ de recherche qui a été une percée dans la compréhension de la façon dont le cerveau est capable de traiter l'information spatiale, et comment cela se traduit dans notre comportement.


GPS cérébral


May-Britt et Edvard Moser del’université de Trondheim, respectivement psychologue et neurophysiologiste de formation, plus de trente ans plus tard, en 2005, ont découvert un autre élément clé de ce système de GPS interne du cerveau, en identifiant à nouveau chez le rat, d'autres cellules, qu'ils ont nommées “cellules grilles” (“grid cells”). Situées dans une zone du cerveau proche de l’hippocampe  le cortex entorhinal . Ils y ont trouvé des cellules qui n’étaient pas seulement actives à un seul endroit mais qui s’activaient lorsque les rats passaient plusieurs points de l’environnement. Chacune de ces cellules s’activaient suivant un motif spatial unique en forme d’hexagone.

Ces cellules spécialisées constituent un système coordonné permettant la navigation dans l'espace, divisé selon une grille hexagonale. Ce système divise l’environnement en latitudes et longitudes qui permet essentiellement d’avoir une idée de son emplacement par rapport à son point de départ et d’arrivée. Cette organisation mise en évidence chez le rat a son équivalent chez l’homme.

Ce réseau de cellules nerveuses a depuis été trouvé chez d’autres rongeurs, chez les chauves-souris, les singes et l’homme, et serait fort probablement présent chez la plupart des mammifères.

Cellules grilles


Les cellules grilles constituent un système qui permet la navigation dans l'espace. Avec d'autres cellules du cortex entorhinal qui reconnaissent la direction de la tête et les limites de la pièce, elles forment des circuits avec les cellules de lieu de l'hippocampe. Les chercheurs ont ainsi décrit comment les cellules de lieu et les cellules grilles travaillent ensemble pour permettre au cerveau de savoir où il se trouve et comment diriger un déplacement.

On pourrait penser que le système des cellules de l'hippocampe est plus précis, car chaque cellule n'est activée qu'à un certain point de l'espace. Mais pour comprendre le fonctionnement du système de cellule, il suffit d'imaginer que chaque point est une antenne de téléphonie. De la même manière que la position du smartphone est triangulée grâce aux informations reçues par les trois antennes les plus proches, les cellules de la grille sont capables d'établir une carte de coordonnées très précise et indépendante du contexte.

On pourrait dire que la combinaison des neurones de lieu (carte cognitive) et de réseau (système de coordonnées) permet à l'animal de former une carte spatiale de l'environnement : ils sont comme le GPS du cerveau.

Pendant de nombreuses années, l'existence même des cellules de lieu a été remise en question, ainsi que leur rôle dans le fonctionnement de l'hippocampe. Au cours des dernières années, la recherche a clarifié son rôle et personne ne doute qu'elles constituent un élément fondamental de la physiologie de l'hippocampe, tant chez les rongeurs que chez les animaux supérieurs et chez l'homme.

Grâce aux nouvelles techniques d'imagerie cérébrale et à l'étude des patients nécessitant une intervention chirurgicale dans le cerveau, il a été démontré que notre cerveau possède également ces cellules de lieu et de réseau qui lui permettent de se connecter et de se déplacer dans un espace physique. Le GPS interne.

On sait que le cortex entorhinal et l'hippocampe sont les structures du cerveau les plus touchées par la maladie d'Alzheimer. Certains des premiers symptômes de cette maladie sont les troubles de l'orientation : les patients se perdent souvent dans des espaces complexes et la maladie progresse même dans des endroits bien connus.

L'étude de ces réseaux cérébraux peut maintenant aider à expliquer comment cette maladie provoque une perte de mémoire dévastatrice. Il ne fait aucun doute que des progrès dans la compréhension des mécanismes de base de l'hippocampe et de ses cellules, ainsi que des améliorations progressives dans le traitement de la maladie d'Alzheimer, permettront un jour d'élargir l'éventail des possibilités thérapeutiques offertes à ces patients.

May-Britt et Edvard Moser  John O'Keefe
Prix Nobel. La découverte du fonctionnement du GPS interne du cerveau a reçu la plus haute reconnaissance de l'Institut norvégien Karolinska, prix Nobel de médecine 2014, partagé entre le neuro-scientifique anglo-américain John O'Keefe  directeur du Centre Sainsbury pour les circuits neuronaux au Collège universitaire de Londres  et le psychologue et le neuro-scientifique norvégiens, May-Britt Moser et Edvard Moser  directeurs de l'Institut Kavli des Neurosciences, en Norvège.


Transhumanisme au volant


Le système de navigation GPS a révolutionné la conduite telle que nous la connaissions. Et, grâce à lui, nous pouvons nous déplacer vers des endroits pour lesquels nous aurions besoin de lire attentivement un guide routier et de rester à l'écoute des directions routières en suivant les indications d'un appareil sophistiqué, qui même par la voix nous guide, ce que nous permettra d'atteindre notre destination.

L'impulsion pour faciliter nos tâches quotidiennes (et pas si quotidiennes) a permis à la science de développer des produits innovants généreusement reçus par l'ensemble de la population. Ainsi, nous avons un appareil qui nous fait pratiquement de la nourriture (thermomix), un téléphone mobile qui, en plus des appels et des messages, nous divertit dans le bus et, bien sûr, des appareils de navigation qui facilitent l'accès à presque partout. Toute cette transhumanisation diminue les aires du cerveau qui se maintenaient actives pour accomplir des tâches et qui, petit à petit, perdent peu à peu son utilité dans l'ensemble pratique de l'organisme.

Le transhumanisme est un mouvement culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer la condition humaine notamment par l'augmentation des caractéristiques physiques et mentales des êtres humains.


Le GPS nous ferait perdre le sens de l'orientation

Selon une étude menée par des chercheurs à l'University College London Experimental Psychology, publiée dans la revue Nature Communications en mars 2017, on estime que l’utilisation du GPS ne stimule pas suffisamment certaines parties du cerveau sur le long terme et qu’il engourdisse les zones du cerveau responsables de l’orientation.

Les scientifiques ont testé 24 volontaires des deux sexes en leur demandant de choisir entre différents trajets dans les rues de Londres tout en mesurant leur activité cérébrale à l’aide d’une IRM fonctionnelle. Sur les dix exercices de l’étude, cinq comportaient l’utilisation du GPS et cinq autres les seuls moyens cérébraux de chaque personne.

Dans leur expérience, les personnes ont tout d'abord appris à se repérer dans le quartier de Soho, dans le centre de Londres. Puis, les participants ont visionné un film en même temps qu'un scanner enregistrait leur activité cérébrale par IRM fonctionnelle.

Deux zones du cerveau intéressaient les chercheurs :

* l'hippocampe, impliqué dans la mémoire et l'orientation ;
* le cortex préfrontal, qui sert à planifier et à prendre des décisions.

Parfois, le film était arrêté et les participants devaient trouver leur chemin pour rejoindre une destination en disant s'il fallait tourner à droite ou à gauche à chaque carrefour.

L’hippocampe et le cortex préfrontal étaient moins actifs avec un GPS.

Les chercheurs ont trouvé que lorsque les participants devaient s'orienter par eux-mêmes, sans aide d'un appareil de type GPS, l'activité de l'hippocampe et du cortex pré-frontal correspondait assez bien aux décisions qu'ils devaient prendre : ces zones connaissaient des pointes d'activité quand les volontaires entraient dans de nouvelles rues. L'activité cérébrale augmentait avec le nombre d'options à choisir.

En revanche, quand les participants suivaient les instructions de l'ordinateur pour s'orienter, ils n'activaient pas autant ces aires cérébrales.

Les résultats s'accordent avec des modèles dans lesquels l'hippocampe simule des parcours sur des chemins possibles futurs, tandis que le cortex pré-frontal nous aide à planifier ceux qui nous mèneront à destination. Quand nous avons la technologie nous indiquant le chemin à parcourir, le cerveau ne réagit pas au réseau de rues.

En résumé, le GPS de votre cerveau se mettrait au repos si vous vous en remettez à une navigation pilotée par satellite... Ces résultats soulèvent aussi quelques interrogations sur le sens de l'orientation des nouvelles générations qui utilisent un smartphone, puisque leur GPS interne pourrait être moins sollicité.

A terme, les utilisateurs réguliers de GPS pourraient souffrir d’un manque d’entraînement et ne plus réussir à s’orienter facilement sans navigateur. La disposition de la ville pourrait également jouer un rôle.

Selon les chercheurs ces nouvelles découvertes permettent d’étudier comment les systèmes de mémoire du cerveau peuvent réagir à l’agencement d’une ville ou d’un bâtiment. On pourrait identifier des lieux, comme les hôpitaux par exemple, qui pourraient être particulièrement difficiles à retrouver pour des personnes atteintes de démence et les rendre plus accessibles

Zones du cerveau impliquées dans l’orientation



Le cortex pré-frontal. Cette zone est chargée de contrôler nos impulsions, et il semblerait qu’elle ne se développe pas complètement jusqu’à la fin de l’adolescence et participe à l’orientation car elle est chargée de prendre des décisions. Le cortex pré-frontal est la partie du cerveau qui a le dernier mot sur la rue que l’on va emprunter. Lorsque nous mélangeons plusieurs chemins différents, c’est aussi lui qui va décider lequel gagne.

Le striatum. C’est lui qui écoute le cortex pré-frontal lorsque nous marchons dans des endroits que nous ne connaissons pas. De plus, il stocke des informations de temps et de distance dans l’hippocampe, là où se trouvent les fameux neurones de localisation, qui permettent que nous téléchargions de nouvelles cartes dans le striatum.

Le cortex pariétal. Il se charge de la direction et du sens.

Le cortex entorhinal. Il nous situe par rapport à un point de référence, comme cela peut être le lieu où nous avons garé la voiture.

Le cervelet. Il se charge de coordonner la partie motrice avec ce qu’a décidé le cortex pré-frontal.

Dans l’orientation, d’autres structures participent également, comme le système limbique qui déclenche la colère ou l’énervement lorsque notre conjoint ne fait pas confiance à notre GPS cérébral.

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