dimanche 28 décembre 2025

Le Brain Freeze ou Céphalée Due à un Stimulus Froid – Relation avec les autres Céphalées et la Douleur



Pourquoi a-t-on mal à la tête en consommant une glace ou une boisson très froide ?


Une glace en été, et c’est le drame : une douleur fulgurante vous transperce le front comme une lame de froid. Ce phénomène, connu sous le nom de “brain freeze” ou “gel du cerveau”, est une réaction neurologique bien réelle, déclenchée par le froid extrême au contact du palais.

Une douleur bien réelle, reconnue médicalement

Le brain freeze, ou céphalée de la crème glacée, est une forme de mal de tête déclenchée par l’ingestion rapide d’un aliment ou boisson très froid. La Classification internationale des céphalées (CIC) le répertorie sous le nom de “céphalée de la crème glacée”, et la CIM (Classification internationale des maladies) le classe comme une douleur causée par un stimulus froid. En langage médical, cette réaction est appelée ganglioneuralgie sphénopalatine.

Un signal envoyé au cerveau

Le mécanisme débute dès qu’un aliment très froid touche le palais. Chez les personnes sensibles, elle est provoquée par le passage d’un élément froid – solide, liquide ou gazeux – au niveau du palais et/ou de la paroi postérieure du pharynx.

Ce changement brusque de température provoque un refroidissement brutal de la muqueuse buccale, entraînant une vasoconstriction – resserrement des vaisseaux sanguins –, suivie d’une vasodilatation des vaisseaux sanguins dans cette zone. Ce changement rapide de diamètre des vaisseaux active le nerf trijumeau, cinquième nerf crânien, qui relie le visage au cerveau, interprète ce changement comme une menace thermique et envoie un signal de douleur” au cerveau.

Le nerf trijumeau est l'un des plus gros nerfs crâniens, responsable de la transmission des sensations faciales, notamment la douleur, la température et la pression. La branche supérieure de ce nerf se trouve près du ganglion sphéno-palatin, un ensemble de nerfs qui transmet les signaux du visage et de la tête au cerveau.

Ce qui est curieux, c’est que cette douleur n’est pas ressentie dans la bouche, mais au niveau du front ou des tempes. C’est ce qu’on appelle “une douleur référé” ou “douleur projetée” : le cerveau interprète mal la source du stimulus, ce qui est très courant dans d’autres types de douleurs viscérales.

Le “gel du cerveau” est différent des autres maux de tête

Le ‘’brain freeze’’ se distingue par sa brièveté et son intensité. Contrairement à une migraine ou à d’autres céphalées, il survient soudainement mais ne dure que quelques secondes à deux minutes. Il disparaît de lui-même, sans traitement, ni repos nécessaire.

Autre différence majeure : l’absence de symptômes associés. Alors qu’une migraine peut s’accompagner de nausées, d’une sensibilité à la lumière ou au bruit, le gel du cerveau reste localisé, sans effets secondaires. C’est une douleur brève, brutale, mais sans suite.

Le brain freeze partage ainsi des points communs avec les migraines : il implique les mêmes circuits nerveux et une dynamique vasculaire similaire. Il pourrait même être considéré comme une mini-migraine provoquée par le froid.

Les symptômes

La douleur est brutale, pulsatile (animé de pulsations) et localisée au front, aux tempes, ou derrière les yeux. Elle apparaît en moyenne 12 secondes après ingestion, dure une vingtaine de secondes, puis disparaît spontanément. Aucun autre symptôme n’y est associé.

Le phénomène s’appelle en réalité céphalée provoquée par le froid. Voici le mécanisme :

Refroidissement du palais. En consommant un aliment très froid, le liquide touche rapidement le palais.

Vasoconstriction soudaine. Le froid provoque une constriction rapide des vaisseaux sanguins dans cette zone pour limiter la perte de chaleur.

Vasodilatation de compensation. Juste après, le corps réagit en dilatant rapidement ces vaisseaux pour réchauffer la zone. Ce va-et-vient rapide provoque une pression soudaine.

Transmission du signal au cerveau. Cette pression stimule le nerf trijumeau, un nerf facial qui relaie aussi les sensations de douleur à la tête. Le cerveau interprète alors cette douleur comme venant du front ou des tempes, d'où la sensation de mal de tête soudain.

Est-ce dangereux ?

En général, non. Il s’agit d’un phénomène bénin, qui disparaît spontanément et sans conséquences médicales.

Comment l’éviter ?

La stratégie la plus efficace consiste à manger ou à boire lentement. Lorsque nous ingérons des aliments froids à grande vitesse, le stimulus thermique au niveau du palais est trop brusque pour que le corps puisse le compenser à temps, ce qui déclenche la réponse douloureuse.

Il est également important d’éviter que les aliments dont la température est basse entrent en contact direct avec le palais supérieur, car cette zone est très vascularisée et proche du trajet du nerf trijumeau. Utiliser une paille, garder le liquide sur la langue avant d’avaler ou ne pas laisser la glace fondre trop rapidement dans la bouche peut aider.

Et si la douleur s’est déjà manifestée, il existe une astuce simple : appuyez votre langue contre le palais. Ce contact aide à rétablir la température et à soulager la gêne en quelques secondes.

Donc la prochaine fois qu’une cuillère de glace vous gèle le front, rappelez-vous : ce que vous ressentez n’est pas exagéré.

Que faire pour soulager le brain freeze ?

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Appuyer sa langue contre le palais pour le réchauffer plus rapidement. Ce contact aide à rétablir la température et à soulager la gêne en quelques secondes.

* Boire quelque chose de tiède ou garder sa bouche fermée pour conserver la chaleur.

* Manger ou boire plus lentement pour éviter de refroidir la bouche d’un seul coup.

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Le brain freeze : l’expression de processus neurologiques complexes


Le système nerveux est juste en train de tester une réaction que les scientifiques tentent encore de comprendre… et peut-être d’exploiter. Les études menées sur ce phénomène, généralement sans gravité mais soutenu par des mécanismes neurologiques plus complexes qu’il n’y paraît, aident à approfondir les connaissances sur les réactions du cerveau soumis au froid, mais aussi sur les facteurs de risque de migraine. Et bien que cela puisse paraître trivial, ce phénomène révèle une complexité neurologique et médicale surprenante.

Ces dernières années, plusieurs recherches ont révélé que ce petit “mal de l’été” pourrait nous en apprendre davantage sur le traitement des migraines, les réactions cérébrales au froid et, de manière surprenante, sur la manière de protéger le cerveau dans des situations critiques.

Toutes ces recherches révèlent que ce qui est souvent perçu comme une simple “douleur due à la glace” est en réalité l’expression de processus neurologiques complexes. Loin d’être banale, cette sensation pourrait aider à mieux comprendre les seuils de douleur et la prédisposition à des troubles neuro-sensoriels plus larges.


Un mal de tête causé par une glace peut-il vous sauver la vie ?


Des chercheurs de l’Université de Californie (San Diego) dans une étude, publiée par Critical Care Medicine en mars 2010, suggéraient que les mécanismes à l’origine du brain freeze pourraient inspirer des stratégies cliniques visant à protéger le cerveau après un arrêt cardiaque.

L’objectif était d'étudier si les mécanismes neuro-vasculaires rapides à l'origine des céphalées provoquées par le froid pouvaient être utilisés pour développer des stratégies cliniques visant à protéger le cerveau après un arrêt cardiaque, notamment par le biais de l'hypothermie thérapeutique.

Ce type de réactions neuro-vasculaires rapides aiderait à réguler la pression intracrânienne, le flux sanguin cérébral et les réflexes autonomes.

Les conclusions de l'étude suggèrent que :

La réaction au froid provoquée par la crème glacée entraîne des changements brusques dans la circulation sanguine cérébrale.

L'activation du nerf trijumeau et du ganglion sphéno-palatin, structures impliquées dans les céphalées, pourrait être à l'origine de la douleur.

Les mécanismes de réponse neuro-vasculaire observés dans le “brain freeze” pourraient inspirer de nouvelles techniques pour réguler la pression et le flux sanguin cérébral dans des situations critiques telles qu'un arrêt cardiaque.

En d’autres termes, une glace peut activer des mécanismes que les médecins tentent de reproduire de manière contrôlée en soins intensifs.


Céphalées induites par le froid chez les enfants et les adolescents


Des chercheurs de l’University Hospital of Padua (Italie) dans une étude, publiée par Life en avril 2023, ont fait synthèse sur la bibliographie disponible sur la douleur et examiné comment des structures profondes du crâne telles que le nerf trijumeau et le ganglion sphénopalatin – tous deux connus pour être impliqués dans les migraines, les céphalées en grappe et les névralgies faciales – peuvent jouer un rôle dans ce phénomène.

La littérature sur les céphalées induites par le froid (CIF) est relativement peu abondante par rapport à d'autres troubles de céphalées primaires, et les études sur la population pédiatrique sont très limitées.

La céphalée induite par le froid (CIF) est un trouble céphalalgique primaire provoqué par un stimulus froid appliqué à l'extérieur de la tête, ingéré ou inhalé. La littérature sur la CIF est relativement rare par rapport à d'autres troubles céphalalgique primaires, car il s'agit d'une affection difficile à étudier, principalement en raison de sa courte durée. De plus, les travaux sur la population pédiatrique sont très limités et aucun d'entre eux ne porte sur les enfants de moins de 8 ans.

La prévalence des cellules souches hématopoïétiques (CSH) au cours de la vie est plus élevée chez les enfants que chez les adultes. Contrairement à la population adulte, où les femmes sont plus touchées par les CSH que les hommes, il n'existe pas de différence significative entre les sexes chez les enfants.

Cette revue systématique vise à analyser les données disponibles sur les CIF chez les enfants et les adolescents, en mettant l'accent sur l'épidémiologie, les caractéristiques cliniques, les mécanismes pathogéniques et les traitements.

De plus, de nombreux travaux de recherche ont montré que la réponse douloureuse au froid pourrait révéler une hypersensibilité du système trigéminal, en particulier chez des personnes prédisposées. La prévalence de ce phénomène varie entre 15 et 37% dans la population générale. Mais elle est nettement plus élevée chez les enfants et les adolescents, chez qui elle atteint des chiffres compris entre 40,6% et 79%, selon les données recueillies dans la littérature scientifique.

La revue a porté sur 25 études, dont 9 articles incluant des cas pédiatriques (4 échantillons pédiatriques, 5 échantillons mixtes d'enfants et d'adultes). L'objectif de ce travail est de mettre en évidence les caractéristiques des CSH chez les enfants et les adolescents. Chez les enfants, la prévalence des CSH est plus élevée que chez les adultes et n'est pas spécifique au sexe.

Il existe des antécédents familiaux pertinents pour les CSH et la comorbidité avec la migraine est significative. Les facteurs déclenchants et les caractéristiques cliniques des CSH due à l'ingestion d'un stimulus froid chez les enfants sont similaires à ceux observés chez les adultes.

Les CSH due à l'application externe d'un stimulus froid, ou à des températures ambiantes basses, n'a pas été étudiée chez les enfants et les adolescents. Les chercheurs décrivent en détail un nouveau cas pédiatrique des CSH déclenché par de basses températures ambiantes ; à leur connaissance, il s'agit de la première description dans la littérature.

En conclusion, les CSH chez les enfants sont probablement sous-estimées et présentent des caractéristiques particulières par rapport aux adultes. Ds études supplémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre ses caractéristiques cliniques et sa physiopathologie.


Céphalées dues à la crème glacée chez les étudiants et antécédents familiaux de céphalées : une étude épidémiologique transversale


Des chercheurs de Martin Luther University Halle-Wittenberg (Allemagne) dans une étude, publiée dans le Journal of Neurology en juin 2016, ont révélé que la prévalence des maux de tête liés à la consommation de crème glacée était significativement associée à des antécédents familiaux de migraine.

Cette étude épidémiologique transversale a porté sur 283 élèves – âgés de 10 à 14 ans – fréquentant un lycée en Allemagne, leurs parents et leurs enseignants, a montré une prévalence de 62% chez les enfants et de 31% chez les adultes. Cette différence pourrait s’expliquer par une combinaison de facteurs : l’apprentissage comportemental visant à éviter les déclencheurs de la douleur, une plus grande stabilité neuronale face au froid avec l’âge et des différences anatomiques qui rendent les enfants plus sensibles à une stimulation rapide des récepteurs du froid.

Les chercheurs suggèrent que ce type de céphalée “congélation cérébrale” peut être un indicateur d'une sensibilité trigéminale accrue ou d'une prédisposition à d'autres troubles neuro-sensoriels. L'étude a observé que les enfants dont les parents avaient des antécédents familiaux de ce type de douleur présentaient un risque plus élevé, ce risque étant multiplié si la mère était touchée.

Les résultats suggèrent que les maux de tête liés à la consommation de glaces ne sont pas seulement une simple réaction, mais le reflet de processus neurologiques complexes et un signe possible d'une sensibilité trigéminale accrue ou d'une prédisposition à d'autres troubles neurologiques.

L'étude souligne que cette manifestation peut être un marqueur clinique d'une sensibilité accrue aux stimuli froids, similaire à la sensibilité observée chez les personnes souffrant de migraines et d'autres maux de tête.


Céphalée idiopathique en coup de poignard et céphalée expérimentale provoquée par la consommation de crème glacée (céphalées de courte durée)


Des chercheurs de Kocaeli University (Turquie) dans une étude, publiée par European Neurology en janvier 2004, comparent la céphalée pulsatile idiopathique à la céphalée due à des stimuli froids, toutes deux considérées comme des céphalées de courte durée.

Les chercheurs analysent et comparent la céphalée pulsatile idiopathique, également appelée primaire, à la céphalée due à des stimuli froids ou “céphalée glacée”, en documentant ces deux types de céphalées de courte durée et leurs caractéristiques.

Les céphalées idiopathiques en poignard (ISH) et les céphalées expérimentales provoquées par la consommation de crème glacée sont dues à une activation paroxystique des voies trigéminales et à un dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de la douleur. Tout dysfonctionnement des mécanismes de contrôle de la douleur semble être localisé dans les zones touchées.

Les chercheurs ont comparé les localisations des ISH et des céphalées expérimentales provoquées par la consommation de crème glacée chez le même groupe de personnes souffrant de migraine afin d'étudier les similitudes et les différences entre ces céphalées.

Le pourcentage de localisations des maux de tête liés à la consommation de crème glacée limitées à devant le sommet du crâne/sur le sommet du crâne était de 94%, contre 45% pour les ISH. Le pourcentage d'occurrence des maux de tête liés à la consommation de crème glacée derrière le sommet du crâne était de 6% et de 55% pour les ISH.

En raison de la distribution étendue de l'ISH dans la tête, il pourrait y avoir une irritation de diverses branches du nerf trijumeau, tandis que les localisations restreintes des maux de tête liés à la consommation de crème glacée suggèrent une irritation d'une ou plusieurs branches spécifiques du nerf trijumeau, par exemple dans l'oropharynx.

Une irritation étendue ou restreinte des voies trijumeaux provoque soit une ISH, soit des maux de tête liés à la consommation de crème glacée, dans lesquels des déficits intermittents des mécanismes centraux de contrôle de la douleur semblent jouer un rôle clé.

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Des études scientifiques démontrent aussi que les personnes qui souffrent de migraines à répétition sont parfois plus souvent victimes de gel du cerveau, en raison d’une sensibilité accrue à ce type de douleur. Malgré son caractère quotidien et inattendu, le mal de tête dû à la consommation de glace est une réaction normale du système nerveux face à un stimulus thermique intense.

L'intérêt scientifique pour ses mécanismes et ses applications cliniques potentielles persiste, ce qui démontre que les expériences les plus courantes peuvent fournir des informations précieuses sur le cerveau humain.




Le brain freeze est une douleur transitoire, provoquée par une réaction vasculaire au froid. 
Il n’est ni imaginaire ni grave, mais peut être très désagréable. 
Une meilleure connaissance du phénomène permet de l’éviter – ou du moins, de l’atténuer. 
Alors, la prochaine fois que vous dégusterez une glace, allez-y doucement… 
Votre cerveau vous remerciera !


Voir aussi…

samedi 29 novembre 2025

Le Brassage (Shuffle) Cognitif : une Aide pour Vous Endormir




Le brassage cognitif procure une distraction mentale, permettant au cerveau de se détacher du stress


Le brassage cognitif, aussi appelé "shuffle cognitif", est une technique qui vise à faciliter l'endormissement en distrayant l'esprit des pensées anxiogènes. Il s'agit d'engager son cerveau dans une activité mentale simple et répétitive, comme la visualisation d'objets ou de mots, pour l'empêcher de ruminer et de maintenir un état d'éveil.

Rumination. Tendance à penser ou à s'inquiéter excessivement et de manière répétée à propos de quelque chose, en particulier de problèmes, d'inquiétudes ou de situations négatives. C'est comme retourner une pensée sans cesse, souvent sans parvenir à une conclusion ou à une solution.

La stratégie “shuffle cognitif” consiste à tromper son propre cerveau pour le faire penser à autre chose. Concrètement, l'idée est d'imaginer des objets qui n'ont aucun lien entre eux pour que le cerveau n'y trouve pas de sens. D'où le mot anglais “shuffle” qui veut dire mélanger.

Le brassage cognitif repose sur l'idée que les pensées qui empêchent de dormir sont souvent verbales et activent le lobe frontal, signalant au cerveau qu'il n'est pas prêt pour le sommeil. En pratiquant cette technique, on vient distraire le cerveau de ces pensées, le laissant dans un état de calme propice à l'endormissement.

En approfondissant, le brassage cognitif a pour but de détourner l’attention des pensées qui empêchent la somnolence – inquiétudes, planifications, ruminations – pour privilégier celles qui la favorisent – images calmes et neutres propices au sommeil –. Il procure un moyen de s’apaiser et de s’évader, ce qui permet de diminuer le stress lié aux difficultés d’endormissement, et envoie au cerveau le signal que l’on est prêt à sombrer dans le sommeil.

Lorsque vous ruminez trop la nuit, votre cerveau est pris dans un cercle vicieux d'inquiétude, de stress ou de planification. Le brassage cognitif agit comme une réinitialisation mentale en :

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Distrayant le cerveau avec des pensées neutres ou aléatoires.

* Empêchant l'anxiété de s'intensifier.

* Encourageant la relaxation et en réduisant l'excitation cognitive.

Le va-et-vient d’images aléatoires mis en œuvre mime ce qui se passe naturellement lors de l’endormissement : l’activité cérébrale ralentit et produit sans effort conscient des séquences d’images déconnectées, appelées hallucinations hypnagogiques.


Origine de la méthode


La technique du brassage cognitif a été popularisée voici plus d’une dizaine d’années par le chercheur canadien Luc P. Beaudoin, professeur en enseignement et en science cognitive à l'Université Simon Fraser (SFU), en Colombie-Britannique. Après la publication d’un article décrivant ce qu’il nommait “Serial Diverse Imagining” (visualisation diversifiée sérielle), une méthode présentée comme facilitant l’endormissement, par le principe de la déviation de l’attention par rapport aux pensées qui empêchent de trouver le sommeil.

Luc Beaudoin soutient qu’il faut dévier ses pensées des éléments stressants de la vie pour tomber dans les bras de Morphée. Pour ce faire, il propose de faire un “brassage cognitif” une fois au lit. D’abord, il recommande de penser à un mot qui compte des lettres différentes, comme le mot oiseau. Ensuite, il conseille de penser à six listes de mots qui commencent par chaque lettre du premier mot choisi : o, i, s, e, a, u.

Les objets. La méthode consiste à imaginer, pendant quelques secondes pour chacune d'entre elles, une suite de choses sans rapport les unes avec les autres : voiture, frites, fleur, cochon, ordinateur… La clé, c’est qu’il n’y ait aucun lien, aucun sens entre les objets, sinon les pensées obsédantes vont déferler…

Les lettres. Ici, on imagine un mot avec des lettres différentes. Prenons “carton”. Ensuite, on imagine des choses dont le nom commence par les lettres du mot : cheval (c), arbre (a), radiateur (r), et ainsi de suite.

Le professeur qui a testé la technique auprès de 150 étudiants de l’Université MacEwan, en Alberta, dit que les participants commençaient à se fatiguer tôt durant l’exercice. Il mentionne que c’est un peu plus engageant que de compter à reculons et c’est un peu plus demandant. On dirait que c’est simple, mais le cerveau est occupé quand on fait cela. Il n'y pas d'activité mentale qui est mauvaise, c’est le genre d’activités qui importe.


Il pense que les gens trouvent cela intéressant qu’il y ait du nouveau en matière de techniques à utiliser au lit pour s'endormir et qui ne comporte pas de prise de médicaments. C’est amusant et original.

L’objectif de ces exercices mentaux est de penser brièvement à une “cible” neutre ou agréable, puis de passer à d’autres cibles, sans lien avec les précédentes, et ce, fréquemment, soit toutes les 5 à 15 secondes environ. Il ne s’agit ni de relier les mots évoqués entre eux, ni de satisfaire la tendance naturelle de notre esprit à donner du sens. Le brassage cognitif vise plutôt à imiter le fonctionnement cérébral des “bons dormeurs”.

Les difficultés d’endormissement affectent une proportion considérable de la population. Un esprit qui s'emballe, des inquiétudes et des pensées incontrôlables sont des plaintes courantes au coucher chez les personnes qui ont du mal à dormir.

Chacun utilise une technique censée favoriser le sommeil, mais le succès est loin d’être garanti. Une tisane avant de se mettre au lit, compter les moutons, adapter sa respiration… : tout ceci en aide peut-être certains, mais on ne peut pas dire que globalement, le résultat soit très convaincant.

Comme l’explique le Dr Luc Beaudoin, compter les moutons est une activité particulièrement ennuyeuse, et dès lors les autres pensées vont rapidement s’imposer ; alors que les techniques d’auto-relaxation présentent l’inconvénient que l’on essaie consciemment de s’endormir, ce qui contrecarre leur efficacité.

Des recherches ont démontré qu’avant de s’endormir, l’esprit des “bons dormeurs” est envahi de pensées “hallucinatoires”, proches du rêve. Ces visions oniriques, désordonnées, sont radicalement différentes des préoccupations angoissées qu’expérimentent les personnes qui ont des tendances à l’insomnie. Ces dernières ont en effet plutôt tendance à se focaliser davantage sur leurs préoccupations, leurs problèmes ou les bruits environnants, tout en s’inquiétant sans cesse de ne pas trouver le sommeil.

Les recherches préliminaires menées par Luc Beaudoin et son équipe suggèrent que cette méthode aiderait à réduire l’excitation mentale avant le sommeil, améliorerait la qualité de ce dernier et faciliterait l’endormissement. Néanmoins, le nombre d’études étayant ces premiers résultats demeure limité, et des travaux complémentaires sont encore nécessaires pour les confirmer.

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Activité cognitive pré-sommeil chez les adultes : une revue systématique



Des chercheurs des universités de Montréal, Simon Fraser et Laval dans une étude, publiée par Sleep Medicine Reviews en avril 2020, ont recueilli l’information sur l’activité cognitive pré-sommeil chez les bons dormeurs et les personnes souffrant d’insomnie.

Cette revue systématique se concentre sur trois thèmes :

* la nature de l’activité cognitive pré-sommeil chez les bons dormeurs et les personnes souffrant d’insomnie ;

* les liens entre les mesures de l’activité cognitive pré-sommeil et la latence d’endormissement (LAD) ou l’insomnie ;

* l’effet de la manipulation de l’activité cognitive pré-sommeil sur la LAD ou l’insomnie.

Concernant le premier thème, des rapports d’évaluation (mentation) ont été recueillis en laboratoire du sommeil, à l’aide d’un dispositif de surveillance ambulatoire ou d’un enregistreur vocal.

La transition normale vers le sommeil est caractérisée par l’imagerie sensorielle, la désactivation des processus cognitifs supérieurs et des hallucinations. De plus, les pensées pré-sommeil chez les personnes souffrant d’insomnie sont souvent liées à la planification ou à la résolution de problèmes et sont plus désagréables que chez les bons dormeurs.

Concernant le deuxième thème, douze questionnaires et trois entretiens ont été identifiés. L'insomnie est associée à davantage de pensées interférant avec le sommeil, au traitement contrefactuel, aux inquiétudes, aux stratégies de contrôle des pensées inadaptées, à la surveillance secrète et à l'éveil cognitif.

Concernant le troisième thème, plusieurs stratégies ont été testées : l'imagerie mentale, l'hypnose, l'intention paradoxale, la suppression articulatoire, la suppression ordinaire et la distraction. Leur effet est soit bénéfique, négligeable, soit néfaste. Les recherches futures devraient se concentrer sur les mécanismes par lesquels certaines formes d'activité cognitive affectent la latence d'endormissement.

La latence d'endormissement est le temps qu'il faut à une personne pour s'endormir après avoir éteint la lumière. En moyenne, une personne en bonne santé met entre 10 et 20 minutes pour s'endormir.


Mouvements des paupières et activité mentale au début du sommeil



Des chercheurs de Harvard Medical School et de Beth Israel Deaconess Medical Center (Boston), dans une étude, publiée par Consciousness and Cognition en mars 1998, ont observé l’état mental hypnagogique de l'endormissement.

La nature et l'évolution temporelle de l'endormissement – état mental hypnagogique – ont été étudiées à domicile à l'aide du Nightcap, un moniteur de sommeil fiable, économique et relativement non invasif. Relié à un ordinateur personnel, le Nightcap identifiait avec fiabilité l'endormissement en fonction des variations de la somnolence perçue et de l'apparition de caractéristiques oniriques hypnagogiques.

Les réveils ont été enregistrés par ordinateur après 15 secondes à 5 minutes de sommeil, défini par la quiescence (tranquillité) des paupières. Les réveils après des périodes de sommeil plus longues étaient associés à :

* une augmentation de la somnolence rapportée,

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 une diminution de la durée des rapports d’évaluation (mentation),

* une diminution de la fréquence des rapports de pensées normales, similaires à celles du sommeil,

* une augmentation de la fréquence des “pensées inhabituelles”,

* une augmentation de la fréquence des caractéristiques formelles du rêve, notamment les hallucinations visuelles, la représentation de soi, les mouvements fictifs, l'intrigue narrative et les bizarreries.

Bien que les rapports d'endormissement puissent inclure toutes les caractéristiques des rêves paradoxaux (REM), le nombre de ces caractéristiques est nettement réduit au début du sommeil, ce qui suggère que cette mentation est une version fortement atténuée du rêve paradoxal.


Tâche d'imagination diversifiée en série : un nouveau remède contre les plaintes d'inquiétude et autres troubles du sommeil au coucher




Lors de la conférence SLEEP-2016 à Denver en juin 2016, le chercheur Beaudoin a présenté la création d’une tâche d'imagination diversifiée en série (SDIT) qui peut être utilisée au coucher pour détourner l'attention des pensées qui perturbent le sommeil.

Une application présente aléatoirement des enregistrements de mots relativement concrets, un à la fois, avec un intervalle de 8 secondes entre les enregistrements pendant lequel la personne crée et maintient une image mentale du mot jusqu'à ce que l'enregistrement suivant suscite l'image suivante, et ainsi de suite.



L’étude est un test expérimental de SDIT comparé au traitement standard de résolution de problèmes structurée (PS) et à la combinaison des deux traitements.

Le traitement PS est une approche structurée et systématique, souvent utilisée comme traitement standard pour divers problèmes de santé mentale. Ce traitement vise à enseigner aux individus des compétences spécifiques en matière de résolution de problèmes, telles que la définition du problème, la génération de solutions alternatives, l’évaluation des options et la prise de décisions.

Une caractéristique clé de PS est qu'elle doit être effectuée avant le coucher et nécessite environ 15 minutes pour la réaliser. SDIT, qui est effectuée au coucher, n'a pas ces contraintes.

Méthode. 154 étudiants universitaires (dont 137 femmes) se plaignant d’un éveil cognitif excessif avant le sommeil ont été randomisés pour recevoir le SDIT, le SP ou les deux. Au départ, ils ont rempli l’échelle d’éveil pré-sommeil – somatique et cognitive –, l’échelle de qualité du sommeil, l’échelle d’effort de sommeil de Glasgow et l’indice d’hygiène du sommeil. Selon la mesure choisie, les participants ont refait l’évaluation une semaine et/ou un mois après le début de l’intervention. Ils ont également rempli un journal de sommeil et effectué une évaluation des interventions, qui n’est pas présentée pour des raisons de place.

Résultats. Des ANOVA (tests statistiques) à mesures répétées ont indiqué que l’éveil cognitif et somatique avant le sommeil, l’effort de sommeil et la qualité du sommeil se sont améliorés de manière significative par rapport à la valeur initiale, même si l’hygiène du sommeil s’est détériorée. Ce dernier résultat n’est pas inattendu car la valeur initiale a été effectuée au début du trimestre scolaire avant le début des pressions académiques. Le fait que des améliorations du sommeil et de l’éveil aient été constatées dans ce contexte est notable.



Conclusion. La tâche d’imagination diversifiée en série de Beaudoin (SDIT) était aussi efficace que la résolution structurée de problèmes (SP) pour réduire l’éveil avant le sommeil, l’effort de sommeil et la mauvaise qualité du sommeil. L’un des avantages de la SDIT est qu’elle peut être effectuée au coucher, contrairement à la SP.

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Avantages du brassage cognitif

* Réduit le stress et l'anxiété : détourne l'esprit des pensées perturbantes.

* Améliore la qualité du sommeil : aide à s'endormir plus rapidement.

* Agit comme un somnifère naturel : aucun médicament n'est nécessaire.

* Facile à mettre en pratique : ne nécessite aucun outil ni application spécifique.

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Un esprit calme mène à un sommeil réparateur


Les découvertes de Luc Beaudoin ont aussi permis de créer une application, BoutonDodo, qui propose à ses utilisateurs de les mettre dans un état qui favorise le sommeil en permettant à leur esprit de vagabonder d’une image à une autre.

il faut parvenir à écarter les pensées obsédantes qui tournent dans la tête et qui empêchent l’endormissement. En imaginant les choses, les actions et les scènes que BoutonDodo suggère, on oublie ses soucis et on est plongé dans un état qui mène au sommeil.


Le BoutonDodo (mySleepButton)



Le BoutonDodo est un application très simple conçue pour vous aider à vous endormir. Et à vous rendormir lorsque vous vous éveillez trop tôt. Vous n’avez qu’à presser sur le bouton “Endormez moi”, fermer les yeux, et imaginer les items somnolents qu’on vous lit. Ceci va vous empêchez de penser aux sujets qui vous auraient autrement gardé éveillés, et vous mettra dans un état psychologique propice au sommeil.

Bouton Dodo repose sur deux idées clés :

* Vous ne pensez pas aux choses qui vous tiennent éveillé.

* Votre esprit voyage d’une image aléatoire à une autre.

L’application décrit ces images (objets, scènes…) et vous les imaginez. Le principe est de solliciter son cerveau en lui soumettant des images et des idées aléatoires, selon un protocole spécifique.

Comment le pratiquer ?

Choisissez un mot au hasard. Par exemple “cookie” ; ou une lettre de l'alphabet.

Visualisez ce mot. Et pensez à d'autres mots qui commencent par la même lettre. Se concentrer sur la première lettre de ce mot (ici C) et énumérer une série de mots débutant par cette lettre : chat, carotte, calendrier, etc. Visualiser chaque nouveau mot.

Répétez ce processus. En changeant de mot ou de lettre si nécessaire. Lorsque vous vous sentez prêt, passer à la lettre suivante (O) et renouveler le processus. Poursuivre avec chaque lettre du mot initial (donc, ici, O, K, I puis E) jusqu’à ce que vous soyez prêt à changer de mot ou que vous sombriez dans le sommeil.

Concentrez-vous sur la visualisation. Et les sons associés à ces mots, en évitant les pensées négatives ou stressantes.

Avantages

* Facilite l'endormissement : en réduisant l'anxiété nocturne.

* Ne nécessite aucun matériel : et peut être pratiqué n'importe où.

* Peut être adapté : à chacun, en choisissant des mots ou des images qui plaisent.

Et si cela ne fonctionne pas ?

“C’est en forgeant qu’on devient forgeron” : comme pour tout nouvel exercice, acquérir la maîtrise du brassage cognitif passe par une période d’entraînement. Ne soyez pas découragé si l’effet n’est pas immédiat. Persévérez, et faites preuve de bienveillance envers vous-même. Gardez aussi à l’esprit que chaque individu réagit différemment.

Par ailleurs, selon votre relation au stress, d’autres stratégies vous conviendront peut-être davantage :

* instaurer une routine régulière avant le coucher pour inciter votre cerveau à se détendre ;

* observer vos pensées, sans aucun jugement, pendant que vous êtes allongé ;

* noter vos inquiétudes ou élaborer des listes de tâches plus tôt dans la journée, afin d’éviter de les ressasser au moment du coucher.

Enfin, si malgré tous vos efforts, vos pensées nocturnes continuent à nuire à la qualité de votre sommeil ou à votre bien-être, n’hésitez pas à consulter votre médecin ou un spécialiste du sommeil.


Le brassage cognitif est une méthode simple et efficace pour aider les personnes souffrant d'anxiété
 nocturne à trouver le sommeil, en détournant leur attention des pensées qui les empêchent de se détendre


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